La fistule de Louis XIV, une affaire d’État

Il n’y avait personne qui voyant le Roy agir, se promener tous les jours dans les Jardins, vaquer aux affaires, & conserver dans toutes ses différentes occupations sa gaieté & sa tranquillité ordinaire, le crût malade.

Il l’était pourtant. Il lui était venu une fistule à l’Anus, maladie peu connue dans ce temps là, & qu’on regardait comme infiniment dangereuse. Il la porta pendant quelque temps sans en rien dire à personne; il consentit ensuite, à la persuasion du Duc d’Orléans, à la faire voir à Bessière fameux Chirurgien de Paris.

Félix son premier Chirurgien l’avait pourtant vue quelques jours auparavant ; mais quoiqu’il fût fort habile, l’expérience journalière lui manquant, il ,avait besoin de conseil, & de travailler sur d’autres malades avant que d’entreprendre de tailler le Roy.

Il s’exerça pendant deux mois à L’hôpital, où il fit plusieurs fois l’opération de la fistule avec grand succès ; alors se trouvant en état d’entreprendre, on apprit tout-à-coup dans le monde qu’on venait de faire la grande opération au Roy ; car c’est ainsi qu’on l’appelait dans ce temps-là.

Elle était résolue depuis six semaines, c’est-à-dire, longtemps avant le départ de Fontainebleau; mais personne n’en savait rien , & il n’y avait du secret que Madame de Maintenon, le Marquis de Louvois, le Père de la Chaize , Fagon premier Médecin du Roy , & Félix qui devait opérer. Il donna deux coups de bistouri, & huit coups de ciseau, il avait fait faire un instrument d’une nouvelle invention qu’il avait essayé sur des Corps

morts, & qui épargna deux coups de ciseau : quelque douloureuse que fût cette opération, le Roy la soutint avec une fermeté héroïque , & sans qu’il lui échappât une seule plainte.

Dès qu’elle fut faite ,il l’envoya dire au Dauphin, qui était à la chasse; on le dit pareillement à la Dauphine d’abord qu’elle fut éveillée, au Duc & à la Duchesse d’Orléans, & on dépêcha un Courrier au Prince de Condé, qui était à Fontainebleau auprès de la Duchesse de Bourbon sa Belle fille, malade comme nous avons dit. Le Dauphin quitta la chasse, & revint à Versailles à toute bride, il se jeta aux pieds du lit du Roy fondant en larmes, & n’ayant pas la force de parler. Le Roy le reçut avec bonté, & lui dit, tout va bien mon fils, & je n’en aurai que le mal. Madame de Maintenon était assise au chevet du Roy. Madame de Montespan se présenta à la porte ; mais on lui répondit crûment qu’elle ne pouvait pas entrer. Elle s’en retourna en faisant paraître de grandes marques de douleur, qu’on attribua, avec assez de vraisemblance ,au chagrin d’avoir été refusée.

La nouvelle de ce qui venait de se passer à Versailles, ne fut pas plutôt portée à Paris, qu’on vit à quel point le Roy était aimé de ses Peuples & combien sa vie leur était précieuse. Dans un instant, la crainte, la terreur, & la compassion, s’emparèrent de tous les esprits. On n’entendit partout que ces paroles : On vient de faire la grande opération au Roy. Ce mot de grande opération, auquel on n’était pas accoutumé, effrayait tout le monde, & il n’y avait personne qui ne voulût savoir le détail de ce qui s’était passé. Les uns disaient, on lui a donné vingt coups de bistouri, & autant de coups de ciseaux sans qu’il ait proféré une seule parole, d’autres, on doit lui avoir fait bien du mal, & il faut que ce pauvre homme ait bien souffert. On n’entendait parler d’autre chose, quelque part qu’on allait. Après ces premiers moments que le Peuple donna à la curiosité , toutes les Églises de Paris furent remplies d’un Peuple infini , qui allait en foule demander la guérison du Roy.

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