1793 : Création de l’État-civil : déni de l’identité des Peuples autochtones

Johann Peter LANG naît le 28 janvier 1780 à Schopperten dans le bailliage de Nassau-Weilburg faisant partie du Saint-Empire germanique. L’Aigle Impérial figure sur le blason de Schopperten. Les langues maternelles des habitants sont le francique langue de tous les jours que parlait déjà Charlemagne ainsi que le Hochdeutsch, l’allemand littéraire, langue de l’administration et des Églises. Luthérien, Johann Peter a appris à lire et écrire l’allemand littéraire en plus du catéchisme à l’École du dimanche. Contrairement à ce qui se passe en France, la plupart des habitants du baillage savent lire et écrire.

Johann Peter était paysan comme son père Johann Georg et son grand-père. Ils vivaient paisiblement, ils vont se retrouver dans la tourmente révolutionnaire. La France a besoin de chair à canons et va incorporer de force dans ses armées, des centaines de milliers de personnes.

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1793
Annexion de l’Alsace-Bossue par la France

Comme la France n’a prévu aucune école (elle ne sera obligatoire qu’en 1876), les habitants d’Alsace-bossue continuent à apprendre l’allemand au cathéchisme. Pour la plupart d’entre-eux, le français reste une langue étrangère. Schopperten ainsi que quarante-deux autres communes protestantes du Saint-Empire germanique sont annexées par la France et rattachées au département du Bas-Rhin. Elles deviendront l’Alsace-Bossue ou Krumme Elsaß.

Le français devient la langue officielle, les registres paroissiaux sont remplacés par les registres d’État-civil qui doivent être rédigés en français. Problème : les habitants sont germanophones, les registres d’État-civil sont rédigés en allemand jusqu’en 1810 puisque personne ne maîtrise le français.

1810

1810 : Dix-sept ans après l’annexion, les registres d’État-civil sont toujours rédigés en allemand.

1811
Instauration des registres d’État-civil pré-imprimés.

En 1811, l’État-civil adopte des registres imprimés en français dans lesquels il suffit de renseigner les cases blanches : prénoms, noms, profession du père etc.

Les rédacteurs font du zèle et chose grave, francisent systématiquement les prénoms des déclarants qui signent de leurs prénoms allemands. Cela devait créer de sacrées disputes en Mairie. Dans cet acte, Peter, et Jacob sont rebaptisés Pierre et Jacques.

1811

1820
Mariage de Johann Peter LANG n°1 et Catharina WEBERin. L’allemand est-il oublié ?

1820a

1820b

1820c

L’acte est rédigé en français par le maire Charles Trautmann qui francise noms et prénoms. Catherine Weber s’appelle en réalité Catharina WEBERin puisque les noms de familles étaient genrés (les filles de Nickel Weber se nommaient Weberin). Tout le monde signe de son prénom allemand, sauf le maire. A noter qu’il écrit son nom Müller qui conserve son Umlaut.

1829
Naissance de Peter LANG n°2, fils de Johann Peter LANG et Catharina WEBERin.

1829

Le dénommé Pierre signe de son prénom Peter, le dénommé André signe Andreas.

1851
Mariage de Peter LANG n°2 né en 1829 & Maria Elisabetha GERBERin

1856a

 1856b

Tout le monde signe en allemand, même le maire qui signe Müller.

1854
Naissance de Peter LANG n°3, fils de Peter LANG & Maria Elisabetha GERBERin

1854

Cela fait 61 ans que l’Administration tente en vain de franciser les habitants qui signent toujours en allemand.

1871
L’Alsace-Bossue redevient allemande

En 78 années d’annexion française, les habitants ont continué à vivre comme avant. Très peu ont appris le français, puisque l’école obligatoire n’existaient pas. Ils parlaient le francique comme leurs ancêtres et chantaient Johann Sebastian Bach en allemand à l’Église. Malgré l’administration française, ils continuaient à s’appeler Peter, Heinrich Catharina ou Maria. En 1871, les habitants retrouvent leurs prénoms dans les actes d’État-civil mais pas les noms de famille genrés qui ont définitivement disparu en Allemagne au début du dix-neuvième siècle. Les noms genrés sont toujours d’usage dans les pays slaves.

1881
Mariage de Peter LANG n°3 & Charlotta BALTZ

1881

Peter & Charlotta sont enregistrés sous leurs vrais prénoms.

1892
Naissance de Peter LANG n°4

1892

Naissance de Peter LANG n°4. Après la guerre de 14/18, sans lui demander son avis, l’Administration française le rebaptise Pierre.

A partir de 1918 l’histoire recommencera, en pire puisque des Comités d’épuration ethnique chasseront les mauvais français. Il y a même eu un projet officiel d’expulser définitivement tous les habitants d’Alsace-Bossue dans le sud-ouest de la France.

Les habitants de cette région ont été mis à l’index en 1918 parce qu’ils se sentaient allemands. Les guerres napoléoniennes ont été une catastrophe pour ces paysans qui comme tous les paysans aimaient vivre en paix. La France volait leurs enfants qui revenaient souvent estropiés… s’ils revenaient. 

Kriegerverein harskirchen 1910

L’Alsace sous le « joug allemand » (Harskirchen, village voisin de Schopperten).

Conclusion : Peter Lang s’appelle Peter puisqu’il signe de ce prénom tous les actes d’État-civil et que sa famille le nomme ainsi. C’est l’Administration qui le dénomme Pierre. Sur mon arbre généalogique tous mes ancêtres portent leurs vrais prénoms. 

PS : Je préfère le terme de « Peuple autochtone » à « Indigénat alsacien » utilisé par l’Administration française lors de l’épuration ethnique de 1918.

12 commentaires

  1. Je viens de m’apercevoir, que j’ai oublié de préciser que j’avais également un billet prévu sur un Lang de Schopperten pour lequel il me manque encore des informations, ce qui diffère sa parution.

      1. Je ne connais pas. Celui qui motive mes recherches est Karl LANG (1892-1915), fils d’Heinrich et de Caroline leibundguth 1856-????

  2. Merci de cet article courageux. Comme Malylou je ne me connais pas d’identité unique enracinée, « banlieusard » ? En parlant avec des artisans, des ouvriers du batiment, plutot traditionnel, on peut encore comprendre que les cultures locales sont encore vivantes et pas dénuées de sens et de pertinence. Les paysans sont si rares désormais et il faut le dire que l’agronomie technocratiques a si bien travaillé.

    Ce que je ne comprends pas très bien, dont je ne suis pas sur, et qui se pose avec acuité en Bretagne avec par exemple Mona OZOUF, et qui s’est vu en Alsace avec le refus d’une institution régionale : comment des gens peuvent endosser ce déni français des cultures locales ?

  3. « L’Histoire enseignée à l’école est en contradiction avec celle des musées historiques. Idem pour l’histoire de l’art, cathédrale, églises et peintures sont de style français à l’école, germaniques dans tous les livres d’histoire de l’art »

    Je vous rejoins sans réserves sur cette constatation. La France s’est appliquée à forger une image de l’Alsace qui ne correspond pas aux réalités historiques dans une politique de « dégermanisation » évidente.

  4. Billet très pertinent! En Alsace, c’est une minorité insignifiante et géolocalisée dans des lieux précis qui s’exprimait en français. L’histoire de l’Alsace est complexe et totalement inaccessible à des natifs non-dialectisant. Il y a tant de mensonges entretenus de part et d’autre, que même pour des alsaciens ruraux où la transmission orale a encore des chances de se perpétuer, il est difficile d’entrevoir le vécu de nos aïeux. Les jeunes voient l’histoire de l’Alsace au travers du prisme déformant de l’histoire de France!

    1. n’étant d’aucune ‘communauté’ telle que l’alsace, la bretagne, le pays basque et autres, je m’interroge sur le pourquoi du comment de l’importance que cela revêt pour celles et ceux qui en font partie………comprendre l’Autre aide à SE comprendre
      merci beaucoup de mettre ces textes en ligne

      1. Merci pour votre commentaire. Parfois mes textes peuvent paraitre excessifs mais j’essaie de coller à la réalité des faits. Comme pour beaucoup, des pans de l’histoire familiale ont été cachés par honte des origines germaniques. L’Histoire enseignée à l’école est en contradiction avec celle des musées historiques. Idem pour l’histoire de l’art, cathédrale, églises et peintures sont de style français à l’école, germaniques dans tous les livres d’histoire de l’art

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