1674 : Saccage du Palatinat

« Les Français, lisons-nous dans la Balance française, se sont rendus redoutables aux autres nations, non pas tant par leur courage viril et leur bravoure que par leur nombre et leur cruauté tyrannique, en fondant sans crier gare sur l’Empire et surtout dans le Palatinat et le duché de Wurtemberg où ils n’ont rencontré aucune résistance et ont fait rage encore plus cruellement que le Turc, on pourrait dire comme des diables vivants. Ils ont violé d’une façon barbare le peuple innocent des femmes, tout à leur guise, et les ont contraintes à se tenir nues comme Ève, devant la table où ils mangeaient et à les servir. Ils ont miné et fait sauter avec de la poudre les murs et les tours sans défense, culbuté les remparts des forteresses, après que la garnison, faute de renfort, eut été obligée de se rendre, mis le feu aux villes et aux villages à la façon des pires assassins et des pires incendiaires.

Mais quand ils voyaient briller l’épée des Impériaux et des Alliés, ou sentaient l’odeur de leur poudre, il n’y avait plus personne : les voilà volatilisés et évaporés comme la poussière que le vent sème à tous les coins de l’horizon. Bien plus, pour montrer clairement qu’ils étaient venus combattre non pas seulement les hommes, mais Dieu lui-même, ils ont, parmi d’autres excès atroces commis à Heidelberg, foulé aux pieds le pain quotidien pour bien témoigner leur mépris. Où a-t-on jamais entendu rapporter pareille chose d’un païen? La viande qu’on leur servait, ils l’ont jetée dans la chambre ou derrière les portes.

Est-il jamais barbare qui ait commis pareille atrocité. » Le noble vin du Neckar, on l’a laissé couler dans les caves sur le sol, ce que l’on n’a jamais dit d’aucun Turc, bien que Mahomet défende à ses croyants d’en boire. Si hostilement que ces brutes aient traité la précieuse boisson, ils n’ont pas manqué d’en avaler plus que goulûment, et plus d’un en a supporté 10 mesures, ce que ferait difficilement un Allemand qui professe l’ivrognerie. Voilà les braves héros français qui veulent défier et battre tout l’univers » « Non loin de Heidelberg, quelques accouchées, dont certaines venaient d’enfanter trois heures auparavant, ont cherché à se sauver, qui dans les caves, qui, sur le soir, dans la neige épaisse, et, ne pouvant aller plus loin, en ont été réduites à apaiser leur soif avec de la neige. Quelques femmes ont été dépouillées entièrement de leurs vêtements, ce qui — n’y a-t-il pas lieu de s’étonner grandement ? – a inspiré pitié à un officier français qui leur a jeté de vieux manteaux. A une autre femme qui fuyait ils ont coupé la main en deux d’un coup de mousquet, et elle a dû passer la nuit dans la neige sans être pansée. Quelques fillettes, dont l’une n’avait que quatorze ans, ont été violées en pleine rue en présence d’enfants et de vieillards. Ils en ont usé de même avec une vieille femme à qui les uns ont tenu les bras, tandis que les autres satisfaisaient leurs mauvaises passions. Ils ont fait de même d’une femme enceinte qui s’était glissée dans la cave, tenant un enfant dans son bras, et ont, à tour de rôle, contenté leur désir sous les yeux du mari. Ils ont tué des vieillards sans défense de soixante et soixante-dix et même quatre-vingt-dix ans, parmi lesquels deux mendiants. Ils ont dépouillé de tous ses vêtements un vieillard de soixante-seize ans, l’ont mis la tête en bas et l’ont frappé, dans cette position, contre le sol. Les cadavres sont restés trois jours sans sépulture. Les soldats les ont foulés au pied, les ont roussis avec de la paille et sont passés dessus avec des voitures.

Honnêtes catholiques, dites-nous franchement, sont-ce là des chrétiens ? Des assassins, des brigands, des brutes féroces, des diables incarnés, voilà ce que sont les Français. »

Quelques visions précises se détachent sur ce fond d’horreurs : le sac de Colmar et de Schlestadt (l), le bombardement du château de Heidelberg {2), l’explosion de la tour Charles et de la grosse tour, le pillage de la vallée du Neckar, les tonneaux de vin éventrés et laissant échapper à gros flots leur contenu, les récoltes trainées en plein air et brûlées ou incendiées sur pied, les vignes détruites, les champs couverts de moissons retournés à coups de charrue, les sépultures électorales et impériales violées, les cercueils ouverts et les cadavres dépouillés, Phillipsburg accablé d’une pluie de boulets, dont quelques-uns pesaient jusqu’à 120 livres et canonné par 52 pièces et 24 mortiers, les eaux du Rhin grossies par le sang des massacres, les populations affolées se réfugiant dans les forêts et préférant la société des loups à la vue des Français (3), l’Allemagne sucée jusqu’aux moelles par les déprédations des garnisaires et réduite à l’état de désert par l’invasion des Huns et des Goths français, la plus terrible qui ait jamais ensanglanté l’Europe depuis le temps d’Attila (4). « Où est, viennent gémir les « créanciers » de la France à l’assemblée qui doit juger le « debitorum morosum et fraudulentum » : le roi de France, où est ta parure, Heidelberg, la ville autrefois si belle ? Où est ton université florissante? Où est ta résidence magnifique et le splendide château des Princes-Électeurs et la somptueuse résidence électorale? O Mannheim ! O Friedrichsburg ! Vengeance ! Vengeance ! Vengeance ! Spire en cendres, Worms réduite à un tas de ruines, ne savent plus crier que : Vengeance ! Vengeance ! Où êtes-vous, Némésis antique, où êtes-vous, dieux de la vengeance ! Hélas, villes florissantes bien des années avant Jésus-Christ et maintenant entièrement ravagées, contemplez-vous ! Pleurez sur vos descendants ! Pleurez sur vos enfants ! Mêlez vos larmes au Rhin qui passe à vos pieds ! Unissez votre voix à la mienne et criez : Vengeance, Vengeance ! Avance, Très-Chrétien, si tant est que tu aies encore une fibre chrétienne.

(1) Voir, par exemple, Erbarmungs-wurdiger Bericht der… X Verein-Stàdte et Der Französische Redner.

(2) Voir Concursus creditorum et Gottes- Gerichte über Teutschland et surtout Der neue auferwachte… Labroche, qui contient en appendice une description détaillée du bombardement d’Heidelberg et du sac de la vallée du Neckar. Voir aussi l’Appendice.

(3) Tranmgesicht des Heraklitus.

(4) Voir, dans le Laster-Spiegel, VI, le chapitre : Von der Franzosen mehr als unchristlicher und heidnischer Grausamtkeit

Source : le siècle de Louis XIV par Gillot

 

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