1 AU 24 MAI 1928 : KOMPLOTT PROZESS / PROCES DES AUTONOMISTES
Compte-rendu de l’Humanité du 25/05/1928
L’ÉMOUVANTE PLAIDOIRIE D’ANDRÉ BERTHON
DÉBARRASSONS-NOUS DE LA PSYCHOSE DE GUERRE!
Sa plaidoirie ? Tout d’abord, une loyale et émouvante confession aux jurés. Défendre les autonomistes accuses d’avoir été les agents de l’Allemagne, c’était pour Berthon, défenseur, mais aussi partisan, membre du Parti communiste, c’était pour lui et aussi pour son Parti un cas de conscience. Et Berthon, de toute la force de sa conviction, criera aux jurés :
Si j’avais eu le moindre doute que ces hommes aient été les agents d’un impérialisme étranger. Messieurs les jurés, je ne serais pas là !
Puis ce fut un tableau singulièrement émouvant du malaise alsacien pays de langue allemande, terre d’invasion vouée tous les demi-siècles aux horreurs de la guerre, quel sort tragique est celui de l’Alsace. Rapidement, Berthon en arrive à évoquer la guerre de 1914/1918.
Nous avons, les uns et les autres servi; les uns dans l’armée française, les autres dans l’armée allemande. J’ai porté l’uniforme français. Monsieur le conseiller Coen, vous en avez porté un autre. Eh bien, aujourd’hui, il ne s’agit plus, de cela, il s’agit de travailler pour la paix.
Mais comment y travailler ? Portant le fer rouge dans la plaie qui ronge l’Alsace, Berthon va fermer la bouche aux chauvins criminels :
Messieurs les jurés, ici, j’ai retrouvé l’abominable psychose de guerre, l’abominable psychose des corps d’occupation. J’ai peur que trop de magistrat alsaciens pensent encore, comme ceux des conseils de guerre de 1914/1918 dont l’histoire en moins de dix ans a cassé les arrêts.
NÉGLIGENCE, INCOMPÉTENCE, PRODIGALITÉ ET SCANDALE
Puis, documents et texte en mains, Berthon va faire la critique de l’administration française en Alsace depuis l’armistice. Des faits, rien que des faits. Des jugements sévères sur les fautes commises. Mais Berthon, pour bien marquer qu’il ne parle pas en partisan, aura soin de les emprunter aux hommes politiques ou aux plus hauts magistrats de ce pays.
Il citera le jugement du sénateur Helmer sur l’affaire des potasses ; il rappellera les faits de prévarication relevés et sanctionnés par la commission d’enquête de présidée par. M. Marin, dont il était membre il évoquera le scandale des séquestres de Lorraine, dont une commission parlementaire a pu dire qu’elle était un exemple de « négligence, d’incompétence et de prodigalité », dont certains fonctionnaires avaient pu se rendre coupables, et un des plus « scandaleux pillages qu’on ait jamais vus ».
Et, qu’elle qu’ait été la rage du procureur Fachot pendant tout ce réquisitoire terrible, malgré ses tentatives d’interruption et de diversion, le dernier mot est à Berthon.
L’AUTONOMISME, FACTEUR DE PAIX
Que fallait-il faire en Alsace ? Berthon répondra : « Ne pas envoyer, comme disait Barres, trois gendarmes de Carcassonne». Il fallait donner l’Alsace un corps de fonctionnaires qui le comprenne, c’est-à-dire une administration alsacienne. D’où la nécessité de l’autonomie.
De même, au point de vue de la paix, continuera Berthon, l’autonomie est une nécessité.
Concluant cette première partie de sa plaidoirie, Berthon, aux applaudissements du public alsacien; s’écria :
« Si ces hommes sont ou veulent être les artisans de la réconciliation, je les salue. Quel que soit le verdict de Messieurs les jurés, ils sont grands devant l’Histoire ».
L’INEXISTENCE DU COMPLOT
Berthon va maintenant reprendre les démonstrations de ses confrères sur l’inexistence du complot. Il reprochera d’abord au procureur d’avoir dédaigné les débats, de n’avoir tenu aucun compte des témoignages loyaux et de n’avoir voulu retenir que des rapports de police et des dépositions d’agents provocateurs.
« Il ne reste, dira-t-il, que des articles de journaux. Ce n’est pas là la matière d’un complot. On peut pour suivre, mais alors, qu’on s’adresse à la juridiction compétente, et qu’on invoque s’il y a lieu la loi sur la presse ».
Il est midi. Berthon interrompt alors sa plaidoirie. Dans le fond de la salle, les bravos éclatent. Et dehors, dans la rue, c’est une foule enthousiaste d’ouvriers et de petits commerçants ou artisans, de paysans accourus de leur village, qui acclament Berthon à sa sortie du palais de justice.
LE PRÉSIDENT MAZOYER SUPPRIME LA PUBLICITÉ DES DÉBATS
A la reprise de l’audience de l’après-midi, la défense proteste contre une singulière décision du président Mazoyer. En effet, celui-ci a décidé de ne plus laisser entrer dans la salle que ses invités et invitées. La publicité des débats voulue par la loi est ainsi supprimée.
Aux protestations de la défense, le président répond avec la brutalité de ton et de langage qui caractérisent l’adjudant Mazoyer.
« Vous direz, dit-il, que c’est là une manifestation du régime de terreur, qui règne en Alsace ».
Me FOURRIER. « Oui, c’en est une preuve de plus Ricklin et Rossé, chefs du complot et élus du peuple ».
LA CAMPAGNE DU «JOURNAL»
Et, chemin faisant, Berthon sera amené à parler de la campagne faite dans le Journal par M. Edouard Helsey.
Naturellement, le président voudra protéger cet auxiliaire bénévole de l’accusation et interdire à Me Berthon de poursuivre son argumentation.
Quand le rédacteur du Journal, présent dans la salle, interrompra Me Berthon, c’est à celui-ci que le président s’en prendra.
Des articles et des photographies ont été publiés. Les photos sont des faux. Berthon le démontre. Quant aux faits relatés dans les articles, ils sont inventés de toutes pièces. Passons sur les incidents multiples soulevés au cours de cette démonstration par le président Mazoyer. Le dernier mot, une fois de plus, est resté à la défense.
Et Berthon, achevant sa défense de Ricklin, rappellera le verdict des électeurs du Sundgau qui, le 29 avril, ont fait de l’emprisonné leur représentant.
LE JURY RÉPUBLICAIN APPLIQUERA-T-IL UNE LOI DE L’EMPIRE ?
Berthon aborde la troisième partie de son discours. Analysant les questions posées par le président au jury et la loi d’Empire de 1853 qui est invoquée par l’accusation, il va montrer, avec une clarté éclatante, qu’il n’y a pas eu de complot autonomiste.
Quand donc, Monsieur le procureur, aves-vous établi que ces hommes ont voulut changer ou renverser le gouvernement ? Quant donc avez-vous établi qu’ils ont invité les citoyens à s’armer contre l’autorité publique ? »
Berthon précise alors aux jurés quelles sont les conséquences, d’un verdict affirmatif détention ou déportation à Cayenne ou à la Nouvelle Calédonie perte des droits civils et politiques, interdiction de séjour.
ET DEMAIN ?
Non, ce n’est pas tout. Si condamnation il y a, quelle sera la situation demain en Alsace. C’est la question que Berthon pose aux jurés. Il les conjure d’y réfléchir. Demain, c’est peut-être des événements graves, la guerre civile.
« Notre tâche s’écriera Berthon dans une adjuration émouvante est terminée. La vôtre commence. Je vais quitter l’Alsace avec l’angoisse au cœur. Je ne sais pas ce que va être demain… Ces hommes, vous ne pouvez les condamner car vous n’avez pas de preuve. Vous direz, par votre verdict : « Non, nous ne croyons pas que ces hommes sont des criminels. Nous réservons notre opinion sur les choses d’Alsace. Nous voulons seule ment que tous ensemble nous travaillions pour le bonheur du peuple et de l’Alsace »
Une ovation formidable a salué la dernière parole de notre ami Berthon Le président s’empresse de lever l’audience, cependant que les gendarmes menacent.
DERNIÈRES PASSES D’ARMES
A la reprise, le procureur Gal tentera en vain de réfuter l’argumentation de la défense. Le public dans la salle manifestera à plusieurs reprises en sens divers au cours de sa courte réplique. Après lui, Me Thomas, Feuillet, Jaeglé et Berthon répondront.
Puis les accusés auront, comme le veut la loi, les derniers la parole. Chacun d’eux fera une brève déclaration. Notons celle de Ricklin, elle en vaut la peine tant elle est fière et noble :
« Au déclin de ma vie, à la veille de me présenter devant le juge suprême, je ne souillerai pas ma conscience d’un mensonge.
« Je jure ici qu’en entrant dans le mouvement autonomiste, j’avais l’intime conviction que ce mouvement n’avait aucun contact avec l’étranger. Je l’ai encore. Un dernier mot :
« Messieurs les jurés, si vous pensez qu’il y a eu complot, condamnez-moi et moi seul. J’ai été le chef. C’est moi qui dois être responsable pour tous ».
Il est 17 heures 30. Le président déclare les débats clos. On a lu plus haut le verdict. VITAL GAYMAN