Jusque dans les années 50, les Noëls germaniques des Alsaciens étaient traités de Noëls boches Outre-Vosges.
L’Alsace fait partie de l’espace culturel et linguistique germanique où sont nés les marchés de Noël. Celui de Straßburg / Strasbourg date du moyen-âge, il avait lieu vers la Saint-Nicolas dont il portait le nom. Lors de la Réforme, en 1570 le marché est devenu le Christkindelsmärik, « marché de l’enfant Jésus ».
Hans Trapp est dérivé du nom du chevalier Hans von Trotha (1450-1503) propriétaire du château de Berwastein, au nord de Weissenburg / Wissembourg. À cause de sa cruauté, son nom déformé est entré dans l’Histoire alsacienne. Hans Trapp accompagnait le Christkindel le soir de Noël pour faire peur aux enfants. Il est devenu le Père-fouettard.
Le sapin de Noël est cité pour la première fois en 1521 à Schlettstadt / Sélestat. Le sapin était suspendu au plafond et décoré de pommes. C’est une spécificité germanique, qui a été exportée en France par les Optants après la guerre de 1870.
La couronne de l’avent, née en Allemagne en 1860, plutôt protestante, fleurit sur les marchés alsaciens depuis la dernière guerre avant de se populariser en vieille France.
Nos traditions séculaires de Noël disparaissent peu à peu dans l’indifférence générale. Elles sont transformées en fêtes commerciales. Le premier marché de Noël de 2019 a été inauguré le 26 octobre dans une pépinière près de Nancy. Auparavant les commerçants attendaient la fin de la Toussaint.
Aujourd’hui le sapin est devenu un produit de consommation courante. La première proposition sur internet est « Sapin de Noël artificiel pas cher ».
La France s’est accaparée des traditions du Noël germanique en les vidant de leur sens. Francisation des chants, marchés de Noël vendant des gadgets chinois pour touristes.
NOËLS BOCHES
A partir de la guerre de 1914, la France parlait de « Noëls boches ». Le 24 décembre 1914, lors des trêves, les Poilus découvrent le Noël germanique qu’ils racontent sans haine dans leurs lettres. La propagande va rebaptiser le Noël germanique : « Noël boche ».
Noël boche (Action française 24/12/1914)
La presse berlinoise a interrogé les plus notables Allemands sur la meilleure manière de célébrer Noël. Georges de Céli, cite dans la Gazette de France « quelques unes de ces réponses : Il n’y a pas de meilleure manière de célébrer Noël qu’en restant dans les tranchées sous une pluie formidable de balles. Maréchal Von der Goltz.
Laissons battre nos cœurs avec confiance en Dieu et nos poings sur les corps de nos ennemis. Docteur Von-Jagow, Chef de la police berlinoise.
Plus que jamais dans l’exercice des travaux d’amour et de charité. Arthur Von Guwmer, Directeur de la Deutsche Bank.
Tartufferie bouffonnerie, fanfaronnade: voila une manière spéciale de célébrer Noël.
Mais sans doute le soldat allemand laissant Von der Goltz essuyer la pluie de balles dans les tranchées, Jagow, essayer de battre ses poings sur l’ennemi à l’unisson de son cœur; et le directeur de la Deutsche Bank exercer sa charité et son amour en massacrant les blessés et en bombardant; les villes ouvertes-, aimeraient mieux siffler les bouteilles de Champagne que ces bons apôtres s’octroieront pour Noël.
Noël boche (Le Gaulois 25/12/1915)
Un très beau dessin d’Abel Faivre dans l’Écho de Paris, Un officier allemand, une lanterne à la main, découvre, dans une étable, Joseph, Marie, l’Enfant Jésus, l’âne et le boeuf. Et lance cet ordre à la patrouille que l’on devine derrière lui :
L’âne et le bœuf à la boucherie. Les autres dans un camp de concentration.
Arbre de Noël boche (La Liberté 15/12/1916)
(Pas brillant, l’arbre de Noël boche ! Un télégramme d’Amsterdam au Daily Mail relate qu’en raison de la pénurie de matières grasses, le gouvernement allemand recommande de n’allumer qu’une seule bougie dans chaque arbre de Noël Pour qui se souvient du brasillement habituel des sapins enguirlandés de jouets, le 25 décembre, dans l’Allemagne tout entière, la mélancolie de cette unique chandelle est vraiment impressionnante. Sa la lueur indécise risque d’éclairer bien tristement les bulletins de victoire de la Wolff joyeuse. (agence de presse berlinoise)
Témoignage de Julien Arène : carnet d’un soldat en Haute-Alsace et dans les Vosges
Noël! Noël ! Il est onze heures.
Les cloches carillonnent, annonçant la grande fête, la fête de la paix. A leurs appels, la foule se presse vers les églises qui s’embrasent. Comme on va prier pour les soldats!
En face de nous, dans la tranchée ennemie, une trompette allemande chante la Heilige Nacht. Les sons très purs remplissent la forêt. On croirait vivre un conte, un conte de la Forêt-Noire, et que cette musique est celle de l’enchantement. Nous voilà pris au charme ; nous causons des Noëls passés, nous rêvons à celui du retour et nous ne sentons plus le fouet de la bise, ni le froid humide, qui monte de la boue où s’enfoncent nos pieds. Noël! Noël! Il est minuit. C’est l’heure solennelle. Le Christ est né. Chantons Noël !
Le nouvel an
Descente du bois à huit heures du matin. Le cap de la nouvelle année a été franchi dans nos taupinières, en face des Boches qui ont salué les douze coups de minuit par une salve de coups de feu. Nous nous sommes tous serrés la main et nos vœux courts et semblables, n’en ont été que plus sincères. Jamais, je crois, désir ne fut plus unanime et plus facile à exprimer: La Victoire; le Retour.
Témoignages de Poilus (source collège Lutterbach)
Le 25 décembre 1914
Le jour de Noël. Je ne suis pas avec toi, ce qui me rend triste. La nourriture aujourd’hui est meilleure que d’habitude, peut-être est-ce le commandement qui a amélioré nos rations pour l’occasion. Les Boches en face ne bougent pas trop, ils n’ont peut-être pas envie de mourir le jour de Noël. Toute la journée a été calme et il n’y a pas eu un seul coup de feu tiré dans notre secteur. Le soir venu, tout le monde a sorti des bouteilles gardées précieusement et on a chanté à tue-tête « Minuit, Chrétiens ». Les Allemands se sont mis à chanter eux aussi, mais il faut dire que c’était mieux que nous. Une sorte de petit concours s’est organisé entre les deux tranchées. Au bout de quelques minutes, un puis deux Allemands sont sortis de leur tranchée avec des drapeaux blancs. Quelques-uns de mes copains ont fait de même et puis tout le monde a suivi. On était à peu près une cinquantaine entre les lignes. Des échanges ont eu lieu entre les soldats : c’était surtout du schnaps contre du vin. La petite fête a duré jusque tard dans la nuit mais vers 23 heures, les officiers ont fait rentrer leurs hommes dans les tranchées. Franchement, crois-moi, les Allemands sont comme moi et comme toi. Ils subissent la même guerre et vivent dans la même misère. A bientôt mon Huguette, Jean
Ammertzwiller, Noël 1917 :
« Nous voici devant Ammerzwiller, village situé à 16 km au sud-ouest de Mulhouse. Le commandement nous impose un régime acceptable : six ou huit jours de lignes, quatre de repos. Il faut dire que tous les villages sont habités, certains à 500 m de la tranchée française. Par une sorte d’accord tacite, les deux artilleries ne se déchaînent que sur les guerriers en uniformes. On respecte les civils. Si un artiflo allemand, par distraction sans doute, lâche un obus sur un hameau et y sème la mort, sinon l’effroi, la population est unanime à protester contre ce discourtois manquement à une règle établie par les seuls usages. […]
Noël vient dans un décor de neige. Le froid est toujours vif. Pas de sabots ni de cheminées. Point de trêve. La consigne demeure : veiller au créneau. Un coup de fusil troue le silence. Dans le lointain, la sonnerie joyeuse des cloches. Chacun rumine les Noëls de son enfance. On se tait. A minuit, des chants s’élèvent de la tranchée d’en face. Nous écoutons, dans l’émerveillement, ces chœurs harmonieux qui font incontestablement éclater la supériorité musicale de nos adversaires. Si la guerre pouvait, elle aussi, se terminer par des chansons, ce serait le moment d’en finir. Hélas ! Si l’on nous avait prédit qu’après encore bien des misères, c’est dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle que nous célébrerions le Noël 1918, il est vraisemblable que nous aurions vidé le restant de nos bidons en cette nuit de Noël 1917, si triste, si pauvre, si lourde d’inquiétude. » Georges Pineau.
NOËLS ALSACIENS
Le 24 décembre 1927, de nombreux responsables autonomistes ont été arrêtés dont Médard Brogly, Jean Keppi, Eugène Ricklin, Joseph Rossé et Marcel Sturmel. Réaction officielle : « On leur a gâché leur Noël boche ».
En 1940, 270 000 Alsaciens-Mosellans pour la plupart germanophones et pratiquants sont évacués dans le Sud-ouest laïcard. Des prédicateurs évangélistes circulent dans les campagnes du Limousin pour christianiser ses habitants. Les Alsaciens sont appelés les Yayas parce que les anciens ne parlent pas français et répondent Ja, Ja, quand ils ne comprennent pas. À l’école, les petits Alsaciens se font traiter de sales boches. Après un temps d’observation, des relations se tissent entre les anciens et nouveaux habitants.
Les fêtes Noël ont un goût amer, les hommes sont encore mobilisés. Les grands-parents, les femmes et les enfants réunis autour d’une branche de châtaigner décorée de coton chantent « Oh Tannenbaum » et « Stille Nacht ». Les évacués organisent des petites fêtes de Noël dans des salles communales. A Cognac-le-Froid, dans le Limousin les alsaciens chantent aussi « Ich hatt’ einen Kameraden ».
Depuis la dernière guerre, les traditions de Noël sont peu à peu dévoyées
Dans les années 50, le magnifique cantique « Stille Nacht » a été remplacé par le sirupeux « petit papa Noël » de Tino Rossi, le Chistkindel, l’enfant Jésus représenté par une jeune fille a disparu, éclipsé par le père de Noël, imitation américaine de Saint-Nicolas. A l’église et chez les grands-parents, on chantait en allemand. À la maison, on chantait en français.
Dans les années 70, il y avait un clivage à l’armée : les appelés alsaciens choisissaient plutôt de partir en permission à Noël, ceux d’outre-Vosges au nouvel an. Laïcité mal comprise, les traditions sont rabotées, tourisme de masse oblige, les villes se transforment en parcs d’attraction. Sur les marchés d’Alsace, les chants de Noël sont remplacés par des musiques d’ascenseurs.
En 2016, l’arche du « Christkindelsmärik » de Strasbourg disparait de la place Broglie pour « des raisons de sécurité ». Elle réapparait l’année suivante, encadrée de deux immenses « sucres d’orge » de tradition américaine.
En décembre 2018, après l’attentat de Strasbourg, le premier ministre déclare : « Le marché de Noël, symbole d’une France fière » « Ce marché de Noël, c’est notre histoire, notre commun, ce qui appartient à tous les Français » (le Monde du 14 décembre 2018)
La boucle est bouclée, le « Noël boche » appartient à tous les Français.

Très bel article qui m’intéresse beaucoup dommage qu’il soit si long à lire. On dit que le temps c’est de l’argent et aujourd’hui je privilégie l’essentiel loin des réseauxsociau. Ce qui n’enlève absolument rien à la qualité de cet article et aux recherches 😉👍. Je le garde de côté🙂 pour plus tard mais je m’abonne volontiers.
merci à vous
Avec plaisir je reviendrai 🙂
Répugnantes, ces moeurs françaises ! A quand les excuses, A GENOUX !
Louis Mélennec Vos Alsaciens ne réagissent donc pas ??????????????