La liesse populaire en Alsace de la prétendue « Libération » était-elle aussi spontanée que celle racontée dans les articles du Journal officiel, repris mots à mots par toute la presse française, sous peine de censure ? Le président Poincaré martèle dans tous ses discours un slogan inventé par le Service de Propagande en 1917 : « Le plébiscite est fait. L’Alsace s’est jetée en pleurant de joie au cou de sa mère retrouvée ».
Pour mémoire, la majorité des Alsaciens portaient l’uniforme allemand. Les rares Alsaciens engagés dans l’armée française n’avaient pas le droit de se battre contre leur patrie allemande.
Les trois-quarts des Alsaciens tués ou mutilés durant la guerre l’ont été sur le front Ouest, de nombreuses familles sont en deuil. Pour les Alsaciens restés au pays, Il est préférable de faire profil bas à cause des risques de dénonciation et d’expulsions.
Des Comités de réception préparent depuis des mois les visites officielles. Les villes alsaciennes sont transformées en immenses parcs d’attractions patriotiques. Des centaines de drapeaux tricolores sont envoyés de France pour pavoiser les maisons. Idem pour des déguisements d’Alsaciennes flambant neufs sortant de la même usine parisienne. Les grandes coiffes noires popularisées par la propagande sont inconnues dans la plupart des villes alsaciennes. La cocarde tricolore est une hérésie.
Les personnes présentes en Alsace, sont principalement des vieillards, des femmes, des enfants et des mutilés de guerre, toutes sans défense et affaiblies par la faim ou l’épidémie de grippe espagnole qui sévit. Elles attendent avec impatience le retour de leurs hommes.
Rien n’est spontané, tout est prévu pour faire croire au monde entier que les Alsaciens sont heureux d’être « libérés » et empêcher toutes manifestations d’hostilité : Les Feldgrauen alsaciens de retour au pays sont priés de se tenir à carreau sous peine de déportation et d’incarcération en France. Ceux démobilisés le 1er décembre 1918 sont enfermés pour les empêcher de regagner leurs foyers. Les prisonniers de guerre en France sont toujours incarcérés, certains sont astreints aux travaux de déminage des champs de batailles. Les écoliers et leurs enseignants ne sont pas obligés d’assister à la visite de Poincaré.
