Dès l’arrivée des troupes françaises en Alsace-Lorraine, la population vit sous un régime de dictature militaire. L’éblouissement tricolore n’était qu’un feu de paille. Les citoyens du Land Elsaß-Lothringen occupé sont triés selon des critères ethniques et politiques. Les fiches domiciliaires des indésirables sont marquées d’un tampon rouge « ÉTRANGER ». Ces fiches mentionnent les adresses successives, les dates et lieux de naissance les professions et la religion de tous les membres de la famille.

Quatre sortes de cartes d’identité discriminatoires sont distribuées, la plus avantageuse ne permet pas de quitter le Land.

De nombreux nationaux du Land sont expulsés manu-militari, en plein hiver, avec deux jours de vivres, trente kilos de bagages et un peu d’argent. Leurs biens sont séquestrés. Des familles entières sont expulsées parce qu’un seul de leurs membres est né outre-Rhin des décennies plus tôt. Ces expulsions sont formellement interdites par l’article VI de la Convention d’Armistice signée par le gouvernement français. Le délégué allemand se plaint de ces discriminations à la Commission interalliée pour l‘armistice qui siège à Spa.
« Dans tous les territoires évacués par l’ennemi, toute évacuation des habitants sera interdite ; il ne sera apporté aucun dommage ou préjudice à la personne ou à la propriété des habitants. Personne ne sera poursuivi pour délit de participation à des mesures de guerre antérieures à la signature de l’armistice ».

Le général de Castelnau, commandant de la place de Colmar, n’habitait pas un logement de fonction en caserne mais un bâtiment confisqué du quartier impérial.
8 décembre 1918 : Poincaré dans son discours déclare : « Le plébiscite est fait. L’Alsace s’est jetée en pleurant de joie au cou de sa mère retrouvée ».
Spa le 11 décembre 1918.
Le délégué allemand von Haniel, dans un entretien qu’il a eu avec le président de la commission interalliée pour l’armistice, a fait remarquer à celui-ci qu’aux termes de l’article VI de la Convention d’armistice « Les expulsions de fonctionnaires ou d’autres personnes dans les territoires occupés ne peuvent pas avoir lieu ». Les expulsions que les Français font en Alsace sont donc contraires à la convention d’armistice.
Lors des négociations qui ont eu lieu dans la forêt de Compiègne, les délégués français ont pourtant insisté expressément sur ce que l’article 6 protégeait les personnes et les biens d’une façon absolue.
Le président du conseil répondu en date du 17 novembre par radiotélégramme au représentant de l’office allemand des affaires étrangères à Spa au sujet de la sécurité des fonctionnaires allemands d’Alsace-Lorraine de la façon suivante :
« La convention d’armistice contient des dispositions formelles sur le respect des personnes et des biens. Ces dispositions ont été strictement respectées. Cependant le fait de renvoyer dans leur pays des immigrés allemands, fonctionnaires, professeurs, d’université, avocats, maîtres d’école, commerçants, c’est-à dire des personnes sans aucun caractère militaire, n’est pas du tout en contradiction avec le traité d’armistice. »
La déclaration du général Nudant suivant laquelle les fonctionnaires allemands doivent être remplacés par des fonctionnaires français doit reposer sur une erreur, car l’article 6 ne contient rien qui permette de changer quoi que ce soit à l’interdiction qu’il stipule.
D’un autre côté, ces expulsions ont eu lieu d’une manière déplorable. On ne laisse aux expulsés qu’un temps très court pour quitter leur patrie. On ne tient nul compte de l’état de leur santé et il ne leur est permis de prendre avec eux qu’un bagage très réduit.
Les expulsions d’Alsace-Lorraine sont contraires à la teneur du premier paragraphe de l’article 6 qui interdit d’expulser dans tous les territoires occupés. Elles violent également la stipulation que les personnes et les biens des habitants ne doivent subir aucun dommage. Apparemment, on poursuit des buts politiques, et on outrepasse ainsi les mesures permises pendant l’armistice pour mettre la Conférence de la Paix devant des faits accomplis.
Au nom du gouvernement allemand le délégué Haniel proteste et demande le retrait des ordonnances mentionnées plus haut.
Source : Gazette de Lausanne du 12 décembre 1918