Les voyageurs français en Alsace ont pratiquement tous le même profil ; pour la plupart, ils sont germanophobes, francophones monolingues et ne connaissent de l’Alsace que les articles de propagande des journaux parisiens.
De ce fait lors de leurs voyages en Alsace, ils ne rencontrent pratiquement que des Alsaciens francophones qui déversent leur fiel contre l’Allemagne. Dans leurs ouvrages, il est de bon ton de critiquer les chicaneries administratives allemandes, la germanisation outrancière, le malheur des Alsaciens « annexés », et « l’horrible architecture allemande ».
Maurice Fauste se détache du lot. Pour lui, les Alsaciens ne sont pas des Allemands, mais il réfléchit, compare. À la frontière de Deutsch-Avricourt, il est agréablement surpris par la courtoisie des fonctionnaires allemands et du confort des wagons. Il est étonné de voir des pancartes allemandes, bilingues et françaises sur les façades des magasins. Il se rend compte que des Alsaciens francophiles vouent une haine à Napoléon III et son armée qui ont abandonné l’Alsace. Malgré ce que raconte la propagande française, il constate que les Alsaciens sont gais et heureux.
Pour la première fois de sa vie, il voit un drapeau « Rot un Wiss » (rouge & blanc) alsacien. Il a du mal à comprendre : « Une tour en bas à droite de la terrasse, porte un drapeau blanc et rouge ; la troisième couleur manque. L’autorité allemande peut la penser noire, cette partie manquante du drapeau ; mais ici tout le monde la rêve, la voit bleue ».
La-bas, promenade en Alsace – Maurice Fauste (1885)
Les trains et les fonctionnaires
Les wagons allemands paraissent plus propres et plus confortables que les wagons de la Compagnie française de l’Est. Tous sont éclairés au gaz. Dans chaque train, il y a par classe, un compartiment appelé « Retirade », d’une utilité pratique que les voyageurs sauront apprécier dans ce pays, où l’on mange beaucoup, où l’on ne boit pas moins. (Depuis que ces lignes furent écrites, de notables progrès ont été accomplis par les compagnies françaises). À la station qui précède Saverne, le chef de train se montre à la portière et nous enlève nos billets. Il en sera ainsi partout. On entre dans les gares et on en sort sans la moindre difficulté. (Encore un progrès en partie réalisé depuis quelques années par les compagnies françaises).
En 1885, à l’époque où fut fait ce voyage, nous reçûmes en Alsace un excellent accueil… quant à l’autorité allemande dont on aurait pu redouter les vexations, je dois vous dire qu’elle nous laissa aussi tranquille que si nous venions de Berlin au lieu de venir de Paris ; et que même les employés des diverses administrations furent d’une amabilité à laquelle les employés français ne nous avaient guère habitués.
Langue maternelle
Les enfants du peuple aux cheveux d’un blond fade, parlent tous l’allemand. Il n’y a guère que les enfants de la bourgeoisie qui apprennent le français. J’ai tort de dire l’Allemand, c’est plutôt l’Alsacien, cette langue spéciale qu’on ne peut appeler un patois sans s’attirer la colère de tout bon alsacien, ce dialecte que l’on a comparé à notre langue d’Oc, tandis que l’Allemand des Saxons et des Bavarois, de la vraie Allemagne, en serait la langue d’Oil.
C’est une bien triste musique à entendre que le babillage des enfants dans cette langue rauque. Hélas ! la germanisation va son train, de ce côté-là ; dans dix ans, combien de gens du peuple sauront encore causer français ?
On parle Alsacien ; mais certains mots français sont restés dans la langue courante, et nous sommes fort étonnés d’entendre deux personnes se dire « bonsoir » après une conversation en Alsacien.
Le soir des jeunes gens se promènent dans le village, chantant en chœur des « Lieder » simples et tristes dont ils comprennent toute la saveur mélancolique.
Germanisation de l’Alsace
Strasbourg : Les enseignes des boutiques sont en général françaises, quelques-unes en deux langues, les plus rares en allemand. Dans de nombreuses vitrines de livres français, des gravures représentant les scènes de l’invasion d’après Neuville, Detaille, etc.
Saverne : Les boutiques portent des enseignes françaises et allemandes. Les rues sont toutes désignées par des plaques en allemand…
Barr est un bourg français d’aspect. On y parle français autant qu’allemand, sinon plus ; et les enseignes des commerçants sont presque toute françaises.
Guebwiller : On parle français couramment et l’école se fait encore en français.
Pays Welche : C’est en plein après-midi, sous un soleil de feu, après nous être perdus trois fois, avoir interrogé dix bûcherons et autant de faucheurs dans les prés qui, tous, nous répondaient en un patois inintelligible qu’enfin nous sommes arrivés à une auberge d’Aubure.
La Poutroye, très propre mais sans la moindre originalité. Ici on ne parle que français, même dans les bureaux de l’administration.
Sur la montagne… des filles et des garçons sales, déguenillés, misérables, ayant l’air idiot, gardent ces bestiaux ; ils s’approchent de la route pour nous voir passer, rient d’un air fêlé de crétins, et causent d’une voix trainante, dans un patois bizarre.
Architecture
Straßburg : Une gare immense, des vastes quais et bien distribués. De grands bâtiments tout neufs, très ornés, trop ornés. Parcouru très-vite la nouvelle université qui parait immense et très belle.
Joie de vivre
Ce peuple semble très gai. Les femmes sourient ou rient franchement pour des riens. Le rire est plus souvent brillant mais non forcé.
Rancœur des Alsaciens
Wangenburg : Naturellement, on cause des Allemands, des Prissmann, comme les appellent nos nouveaux amis. Leur haine pour les envahisseurs n’a d’égale que leur colère pour Napoléon III. Ils reviennent sans cesse sur la trahison : l’Empereur de la France les a vendus à l’Empereur d’Allemagne. Et leurs malédictions tombent sur les traitres, Napoléon, Bazaine, Le Bœuf, de Failly…
Schlettstadt : Il recommence lui aussi les reproches déjà si souvent entendus contre la France qui a abandonné l’Alsace, comme une mère sans entrailles qui abandonnerait son enfant. Les reproches sont exprimés avec un peu d’amertume ; il lui semble comme à tous ces braves gens, que la France a donné l’Alsace et la Lorraine de gaité de cœur, sans un regret et qu’elle ne songe plus aux Français d’au-delà de Vosges.
Ottrott : Il renouvelle les plaintes que nous avons déjà entendues contre l’empire et les empereurs de France et d’Allemagne, contre les traîtres passés et les envahisseurs présents… Mais quand nous venons à parler de la France, nous, avec notre idée derrière la tête, que l’Alsace est un pays français, il nous semble que l’hôte n’est plus autant de notre avis. Il se rend bien compte en effet, que la France, est, elle aussi malade, et que l’Alsace ne serait pas plus riche pour être française et qu’elle serait à peine plus libre. Il a cette pensée que le Français qui a cédé l’Alsace l’oublie. Et en fouillant ses expressions embarrassées, on devine en l’esprit de cet Alsacien ami de la France et qui hait l’Allemagne, le rêve d’être un jour citoyen de la république alsacienne.
Retour en France
À notre rentrée en France, l’attitude des employés des chemins de fer français comparée à celle des Allemands nous frappe. Au moment de passer la frontière nous descendons quelques minutes à la dernière station ; un employé nous salue en disant : « Veuillez monter, messieurs ».
À la première station française, après la visite des bagages, un chef de train nous interpelle dans le même but : « Eh ! là-bas, on ne monte pas, quoi ! »
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