1914… Noëls alsaciens / Noëls boches

L’Alsace fait partie de l’espace culturel et linguistique germanique où sont nés les marchés de Noël. Celui de Straßburg / Strasbourg date du moyen-âge, il avait lieu vers la Saint-Nicolas dont il portait le nom. Lors de la Réforme, en 1570 le marché est devenu le Christkindelsmärik, « marché de l’enfant Jésus ».

Hans Trapp est dérivé du nom du chevalier Hans von Trotha (1450-1503) propriétaire du château de Berwastein, au nord de Weissenburg / Wissembourg. À cause de sa cruauté, son nom déformé est entré dans l’Histoire alsacienne. Hans Trapp accompagnait le Christkindel le soir de Noël pour faire peur aux enfants. Il est devenu le Père-fouettard.

Le sapin de Noël est cité pour la première fois en 1521 à Schlettstadt / Sélestat. Le sapin était suspendu au plafond et décoré de pommes. C’est une spécificité germanique, qui a été exportée en France par les Optants après la guerre de 1870.

La couronne de l’avent, née en Allemagne en 1860, plutôt protestante, fleurit sur les marchés alsaciens depuis la dernière guerre avant de se populariser en vieille France.

Nos traditions séculaires de Noël disparaissent peu à peu dans l’indifférence générale. Elles sont transformées en fêtes commerciales. Le premier marché de Noël de 2019 a été inauguré le 26 octobre dans une pépinière près de Nancy. Auparavant les commerçants attendaient la fin de la Toussaint.

Aujourd’hui le sapin est devenu un produit de consommation courante. La première proposition sur internet est « Sapin de Noël artificiel pas cher ».

La France s’est accaparée des traditions du Noël germanique en les vidant de leur sens. Francisation des chants, marchés de Noël vendant des gadgets chinois pour touristes.

A partir de la guerre de 1914, la France parlait de « Noëls boches ». Le 24 décembre 1914, lors des trêves, les Poilus découvrent le Noël germanique qu’ils racontent sans haine dans leurs lettres. La propagande va rebaptiser le Noël germanique : « Noël boche ».

Un très beau dessin d’Abel Faivre dans l’Écho de Paris, Un officier allemand, une lanterne à la main, découvre, dans une étable, Joseph, Marie, l’Enfant Jésus, l’âne et le bœuf. Et lance cet ordre à la patrouille que l’on devine derrière lui : L’âne et le bœuf à la boucherie. Les autres dans un camp de concentration.

(Pas brillant, l’arbre de Noël boche ! Un télégramme d’Amsterdam au Daily Mail relate qu’en raison de la pénurie de matières grasses, le gouvernement allemand recommande de n’allumer qu’une seule bougie dans chaque arbre de Noël Pour qui se souvient du brasillement habituel des sapins enguirlandés de jouets, le 25 décembre, dans l’Allemagne tout entière, la mélancolie de cette unique chandelle est vraiment impressionnante. Sa la lueur indécise risque d’éclairer bien tristement les bulletins de victoire de la Wolff joyeuse. (agence de presse berlinoise)

Sa prière étant terminée, Lulu, près de la cheminée, a mis ses plus jolis sabots. Dame ! ils ne sont jamais trop beaux quand, il s’agit de la visite de ce vieux bonhomme d’ermite qu’on appelle : père Noël, et qui vient tout exprès du ciel récompenser, selon l’usage, sur la terre les enfants sages et leur prodiguer ses cadeaux. Sa hotte en est pleine, et son dos se courbe sous leur avalanche… N’importe ! Dans sa, barbe blanche Il rit de voir tant de joujoux. Va-t-il en faire des jaloux ! Il en a jusque dans ses poches : joujoux français, et non plus boches, car vous pensez bien qu’à présent Nuremberg et ses artisans, gardent chez eux leur camelote, Noël étant trop patriote, pour ne pas haïr fermement Tout ce qui vient de l’Allemand…

Donc, ce soir-là, malgré la neige qui lui faisait un blanc cortège, Le bon vieux, soufflant sur ses doigts, vagabondait de toits en toits, à l’heure où l’on voit les chaumières éteindre leurs maigres lumières et laisser se mourir leur feu… Et Lulu, dans son rêve bleu, suivait obstinément la marche du vénérable patriarche.

0 bonheur ! le voilà qui vient, et qui fouille, comme il convient, dans son bagage hétéroclite. Voyez là-haut comme il s’agite ; d’un bond, il est sur la maison. Mais quoi ? perdrait-il la raison ? Pourquoi cette attitude étrange, brusquement sa figure change et prend un air rébarbatif. Il fait un geste négatif ?

Puis, les joues tout enluminées, s’en va vers d’autres cheminées. Et Lulu, en vain, le matin, écarquilla son œil mutin : Il ne trouva rien dans la sienne… Sa cheminée était prussienne…


Carte de propagande française faite dans un studio parisien. De fausses Alsaciennes fêtent Noël avec des soldats français. Ce costume était inconnu dans la ville de Masevaux occupée par l’armée française qui a arrêté et déporté tous les hommes en âge de combattre.

Noël! Noël ! Il est onze heures. Les cloches carillonnent, annonçant la grande fête, la fête de la paix. A leurs appels, la foule se presse vers les églises qui s’embrasent. Comme on va prier pour les soldats!

En face de nous, dans la tranchée ennemie, une trompette allemande chante la Heilige Nacht. Les sons très purs remplissent la forêt. On croirait vivre un conte, un conte de la Forêt-Noire, et que cette musique est celle de l’enchantement. Nous voilà pris au charme ; nous causons des Noëls passés, nous rêvons à celui du retour et nous ne sentons plus le fouet de la bise, ni le froid humide, qui monte de la boue où s’enfoncent nos pieds. Noël! Noël! Il est minuit. C’est l’heure solennelle. Le Christ est né. Chantons Noël !

Le nouvel an : Descente du bois à huit heures du matin. Le cap de la nouvelle année a été franchi dans nos taupinières, en face des Boches qui ont salué les douze coups de minuit par une salve de coups de feu. Nous nous sommes tous serrés la main et nos vœux courts et semblables, n’en ont été que plus sincères. Jamais, je crois, désir ne fut plus unanime et plus facile à exprimer: La Victoire; le Retour.

« Nous voici devant Ammerzweiler, village situé à 16 km au sud-ouest de Mulhouse. Le commandement nous impose un régime acceptable : six ou huit jours de lignes, quatre de repos. Il faut dire que tous les villages sont habités, certains à 500 m de la tranchée française. Par une sorte d’accord tacite, les deux artilleries ne se déchaînent que sur les guerriers en uniformes. On respecte les civils. Si un artiflo allemand, par distraction sans doute, lâche un obus sur un hameau et y sème la mort, sinon l’effroi, la population est unanime à protester contre ce discourtois manquement à une règle établie par les seuls usages. […]

Noël vient dans un décor de neige. Le froid est toujours vif. Pas de sabots ni de cheminées. Point de trêve. La consigne demeure : veiller au créneau. Un coup de fusil troue le silence. Dans le lointain, la sonnerie joyeuse des cloches. Chacun rumine les Noëls de son enfance. On se tait. A minuit, des chants s’élèvent de la tranchée d’en face. Nous écoutons, dans l’émerveillement, ces chœurs harmonieux qui font incontestablement éclater la supériorité musicale de nos adversaires. Si la guerre pouvait, elle aussi, se terminer par des chansons, ce serait le moment d’en finir. Hélas ! Si l’on nous avait prédit qu’après encore bien des misères, c’est dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle que nous célébrerions le Noël 1918, il est vraisemblable que nous aurions vidé le restant de nos bidons en cette nuit de Noël 1917, si triste, si pauvre, si lourde d’inquiétude. »

Le 24 décembre 1927, de nombreux responsables autonomistes alsaciens ont été arrêtés dont Médard Brogly, Jean Keppi, Eugène Ricklin, Joseph Rossé et Marcel Sturmel. Réaction officielle : « On leur a gâché leur Noël boche ».

En 1940, 270 000 Alsaciens-Mosellans pour la plupart germanophones et pratiquants sont évacués dans le Sud-ouest laïcard. Des prédicateurs évangélistes circulent dans les campagnes du Limousin pour christianiser ses habitants. Les Alsaciens sont appelés les Yayas parce que les anciens ne parlent pas français et répondent Ja-Ja, quand ils ne comprennent pas. À l’école, les petits Alsaciens se font traiter de sales boches. Après un temps d’observation, des relations se tissent entre les anciens et nouveaux habitants.

Les fêtes Noël ont un goût amer, les hommes sont encore mobilisés. Les grands-parents, les femmes et les enfants réunis autour d’une branche de châtaignier décorée de coton chantent « Oh Tannenbaum » et « Stille Nacht ». Les évacués organisent des petites fêtes de Noël dans des salles communales. A Cognac-le-Froid, dans le Limousin les Alsaciens chantent aussi « Ich hatt’ einen Kameraden ».

Le Gouvernement français utilise Hitler pour dévaloriser la langue maternelle des Alsaciens qui est déclarée  « langue du voisin, langue de l’ennemi, langue des nazis ». Les écoliers surpris de parler en alsacien subissent des brimades. Leurs parents sont stigmatisés. Les liens familiaux éclatent dans les familles où les jeunes parents obéissent aux sirènes de la propagande en francisant leurs enfants qui ne peuvent pas communiquer avec leurs grands-parents germanophones.

Noël allemands chez les anciens, Noël francophones dans les nouvelles familles.

Le magnifique cantique « Stille Nacht » est remplacé par le sirupeux « Petit papa Noël » de Tino Rossi, le Christkindel, l’enfant Jésus représenté par une jeune fille a disparu, éclipsé par le père de Noël, imitation américaine de Saint-Nicolas.

Du temps du service militaire, les appelés alsaciens choisissaient plutôt de partir en permission à Noël, ceux d’outre-Vosges au nouvel-an.

Le multiséculaire « Christkindelsmärik » (Marché de l’enfant Jésus) de Strasbourg est traduit en Marché de Noël. Peu à peu, de nombreuses communes alsaciennes créent leurs marchés de Noël, authentiques et chaleureux dans les petits communes.

Dans les grandes villes, alsaciennes, les traditions germaniques sont rabotées, tourisme de masse oblige, les villes se transforment en horribles parcs d’attractions sans âme. Les chants de Noël sont remplacés par des musiques d’ascenseurs.

De nombreuses villes françaises ouvrent ouvrent des marchés de Noël pour attirer des touristes.

En décembre 2018, après l’attentat de Strasbourg, le premier ministre déclare : « Le marché de Noël, symbole d’une France fière » « Ce marché de Noël, c’est notre histoire, notre commun, ce qui appartient à tous les Français » (le Monde du 14 décembre 2018)

Carte de propagande française

Laisser un commentaire