La France ne respecte pas l’article VI. de la convention d’armistice du 11 novembre 1918 qui interdit toute expulsion dans les territoires occupés.
« Dans tous les territoires évacués par l’ennemi, toute évacuation des habitants sera interdite ; il ne sera apporté aucun dommage ou préjudice à la personne ou à la propriété des habitants. Personne ne sera poursuivi pour délits de participation à des mesures de guerre antérieures à la signature de l’armistice« .
Dans la petite ville de Colmar en Alsace-Lorraine, des scènes terribles se déroulent. Sous les moqueries de leurs concitoyens, des militaires français forcent les habitants allemands à quitter le territoire.
Après que Strasbourg ait pu assister à l’expulsion d’Allemands ou d’Alsaciens germanophiles dans la tenue correspondant aux nouvelles formes de culture sur le pont de Kehl sur le Rhin, Colmar, la métropole politique de l’ancienne Alsace-Lorraine, ne pouvait naturellement pas rester en arrière dans une affaire qui satisfaisait si éminemment le besoin de spectacle des masses. Certes, Colmar la vineuse eut le privilège d’organiser, deux jours après l’entrée des troupes françaises, un véritable pogrom au cours duquel une douzaine de maisons de commerce allemandes, dont neuf juives, furent pillées et l’une d’entre elles incendiée après son saccage, de sorte que les contribuables auront le plaisir douteux de devoir rembourser un million de dommages matériels.
C’était un secret de polichinelle que derrière ce pillage mené par les éléments les plus malpropres se trouvaient des cercles cléricaux nationalistes qui, en plus d’assouvir leur haine des Allemands, voulaient en même temps rendre le séjour de leur concurrent pénible. L’administration française ne s’étant pas immédiatement mobilisée pour répondre aux souhaits de ces milieux, l’opinion publique fut mise en mouvement par une série de tracts réclamant l’expulsion immédiate de tous les immigrés, l’éloignement de tous les Alsaciens germanophiles de leurs postes de fonctionnaires et leur refoulement au-delà du Rhin. Cette agitation, émanant d’une « ligue démocratique pour les droits de l’homme », n’a pas manqué de faire son effet. Le 7 décembre, à midi, 40 familles avaient reçu l’ordre de quitter le pays dans les 24 heures en tant que « sujets allemands ». Il était gracieusement permis d’emporter 60 kilos de bagages au total, tous les autres biens devant être laissés à la disposition du nouveau détenteur du pouvoir.
Le lieu de départ avait été fixé sur une avenue particulièrement appréciée le dimanche comme lieu de passage, près du monument du sculpteur colmarien Bartholdi, avait été désignée comme lieu de départ et une régie habile avait réussi à faire se lever des milliers de citoyens et de citoyennes colmariens, toute la populace noble et basse, afin de transmettre des adieux à des victimes sans défense de leurs convictions. Un faible cordon de soldats a d’abord isolé de la foule ceux qui arrivaient peu à peu. Chaque famille est accueillie par des hurlements amicaux d’où se détachent quelques injures. Les organes de la sécurité publique se précipitent, les noms des personnes à expulser sont lus, puis elles sont conduites dans la cour de l’association catholique des jeunes gens, entourée par la foule qui regarde et crie, où l’on procède à l’examen des bagages et, dans le local sale et non chauffé de l’association, à l’examen physique des femmes, des jeunes filles et des enfants à la recherche d’or ou de papiers suspects.
Des dames de la meilleure société, d’obédience clérico-nationaliste, se prêtent à cette besogne ; un certain nombre de soldats français et un jeune homme de 25 ans forment l’instance de surveillance. Deux des plus petits enfants, âgés de deux et un ans, doivent être entièrement déshabillés dans la pièce froide. Les femmes se résignent à l’inévitable avec calme et dignité, les hommes ouvrent leurs bagages avec sang-froid et sérénité. Entre-temps, la cour s’est remplie du gratin de la société, des officiers français se font décrire les expulsés et leurs caractéristiques, Hansi, alias Jean Jacques Waltz, fait des croquis en uniforme de capitaine, un photographe, aidé par des amateurs, prend des dizaines de clichés pour en tirer l’image la plus mémorable.
Puis de lourds camions-mobiles entrent dans la cour, les bagages sont rangés et, montées sur de petites échelles, les voitures, figées par la saleté, commencent à accueillir les inadaptés. Les jeunes écoliers, guidés par un officier des Chasseurs alpins, entonnent la Marseillaise et la belle chansonnette « Vive la France, merde la Prusse, d’ Schwowe muen zum Ländle nüß », constituent le début encore passable des adieux. Pendant ce temps, au moment où la première voiture s’éloigne, la foule pousse un hurlement assourdissant et envahit les charrettes en se déchaînant, les soldats restant totalement passifs. Le sable et la boue pleuvent sur les malheureux, des pierres sont lancées dans les voitures, les excréments des hommes et des chevaux placés dans des sacs volent, un certain nombre d’expulsés sont frappés à coups de bâton et se font cracher dessus et lorsque l’un d’entre eux – un avocat qui avait été retenu quatre ans en otage par les Français – perd son calme et crie à la foule : « nous reviendrons », il est arraché de la voiture par des officiers, battu et déclaré arrêté. Sa femme et ses enfants doivent entreprendre leur terrible voyage sans lui. Non content d’avoir fait du départ un spectacle des plus laids et des plus répréhensibles, un réveil des plus bas instincts d’un peuple flattant servilement les Français comme les détenteurs du pouvoir, on prend lentement la direction des rues les plus animées, où le même jeu se répète à différents endroits.
Source : Frankfurter Zeitung du 17/12/1918
